quarta-feira, fevereiro 28, 2007

Trágico e grotesco

«Le monde actuel est au «sous-développé», et le sous-développé est de la graine de snob. Ignorant et sans jugement, il s’aligne sur l’opinion qui lui est proposée avec le plus d’habileté, et de préférence sur l’imposture; tous les sous-développés vont au charlatan; les charlatans le savent et s’en payent. La domination mondiale de l’imposture, et la facilité avec laquelle elle est imposée, grâce au snobisme né de l’abaissement de l’intelligence (sans parler du manque de caractère), sont des nouveautés aussi importantes dans l’histoire de l’humanité que les inventions atomiques. Le snobisme est social, politique, religieux, culturel, médical, économique. Il s’insinue dans tout, mène à tout, et mène tout.
- On ne saurait être trop sévère pour les esprits faux, qui échappent au reproche d’être des imbéciles, et qui néanmoins sont aussi malfaisants que s’ils en étaient. Ce qu’on appelle la bêtise est toujours une parcelle pourrie dans un ensemble sain. La bêtise totale est la stupidité. Elle est très rare, à la différence de l’autre, et elle ne laisse pas que d’être sympathique.
- Oui, on hésite à dire, on ne peut pas dire que le treizième César est bête. Mais ses actes, qui reviennent toujours à amener l’eau d’une main, et de l’autre à faire un trou par où l’eau qu’il amène s’en va, ou bien, autre image, à scier la branche qui le soutient au-dessus de l’abîme, donnent une impression de bêtise, avec la nuance caractéristique du grotesque. Enfin, l’eau ne pouvant s’installer, et la branche devant cesser de soutenir, nous voici dans le tragique. Tragique et grotesque, c’est bien notre image du début le visage de Néron, tel que le voit Vinicius. On peut s’étonner que notre temps n’ait pas encore trouvé un Tacite pour son tragique, et un Molière pour son grotesque, mais c’est qu’il est aussi le temps de la peur. Le champ de la peur est vaste là où le simple sens commun est déjà une provocation.
J’oubliais, parmi les traits de notre international treizième César, la volonté de dégradation systématique des caractères et le détraquage systématique des esprits, moyens de gouvernement proprement césariens, puisque l’Histoire leur donne pour inventeur Jules César lui-même (et aussi bien Pompée, soyons honnête), et qui disposent aujourd’hui d’une organisation immense et formidable: presse, radio, télé, ciné, école. Il y a bien des manières de lâcher les lions dans Rome, comme le rêvait Néron.»

Henry de Montherlant, Le treizième César, 1970